Quand j’étais enfant j’habitais la frontière entre la Normandie et l’Île-de-France, côté Normandie, je considère toujours que je suis un normand maintenant émigré en Touraine. Mon grand-père maternel faisait du cidre avec les pommes que nous ramassions chaque année dans son champ de pommiers. Et dans la cave de sa maison, il y avait un porte-bouteilles (on appelle aussi cet objet un séchoir à bouteilles ou Hérisson à cause de ses pointes). Cet objet bien utile qui était un des éléments du rituel annuel retenait mon attention.
Si je n’avais pas fait d’études artistiques le hérisson serait sans doute sagement resté dans sa cave, abandonné ou laissé en prime aux propriétaires qui ont succédé à mes grands-parents. Mais voilà, quand nous nous sommes installés en Touraine, au début des années 90 du siècle dernier, le fameux porte-bouteilles a fait le voyage et maintenant il trône dans mon atelier. Pourquoi donc?
Vous ne connaissez peut-être pas tous l’artiste français Marcel Duchamp (1887-1968), lui aussi est né en Normandie. Je crois que, comme moi, le porte-bouteilles avait retenu son attention dans sa jeunesse à tel point qu’en 1914, à la veille de la Grande Guerre , il en achète un, tout neuf, au BHV (Bazar de d’Hôtel de Ville – grand magasin parisien). Il le suspend, projette son ombre, le pose sur un socle et sans rien en modifier le transforme – coup de baguette magique – en œuvre d’art. « Quoi que fasse un artiste c’est de l’art » semble nous dire Marcel qui est sans doute l’un des artistes les plus importants du XXème siècle.
Son porte-bouteilles promu au rang d’œuvre d’art, Marcel, qui vient d’être réformé part pour New York. Il a raison parce que chez-nous, ça va chauffer ! De son côté, mon grand-père part pour le front.
J’ai moi aussi transformé mon porte-bouteilles normand, venu du pays du cidre au pays du vin, en œuvre d’art. Je l’appelle Le porte-bouteilles de mon grand-père, Il n’est pas flambant neuf, il a beaucoup servi et j’aime à préciser que Marcel Duchamp n’est pas mon grand-père pour bien marquer l’écart entre les deux gestes artistiques, le neuf, objet tout fait (ready-made). Objet choisi au hasard disait Marcel – ce dont je doute – et l’usagé, celui de mon grand-père, choisi pour faire un clin d’œil à tout l’art du XXème siècle.
Alain Gobenceaux
février 2015
Commenti recenti